jeudi 15 mai 2008

François Villon par Jean Teulé




Bien sais, si j’eusse étudié
Du temps de ma jeunesse folle
Et à bonnes mœurs dédié
J’eusse maison et couche molle
Mais quoi ! Je fuyais l’école,
Comme fait le mauvais enfant.
En écrivant cette parole,
A peu que le cœur ne me fend.

Je devais avoir 12 ans quand en 5° notre professeur de français nous fit apprendre ce poème qui nous fut présenté bien sûr sous une vision très moralisatrice.
Ma curiosité m’avait amené à ouvrir un recueil de poésie dans la bibliothèque familiale et d’y découvrir :

La ballade des dames du temps jadis
Dites-moi où en quel pays
Est Flora la belle romaine
Archipiades, et Thaïs
Qui fut sa cousine germaine ;
Echo, parlant quand bruit on mène
Dessus rivière ou sur étang
Qui beauté eu trop plus qu’humaine
Mais où sont les neiges d’antan.


Mais aussi « Tout au taverne et aux filles » « La ballade de la grosse Margot »…
Ma professeur de français de 5° fut quelque peu gênée quand je lui fis remarquer à la fin d’un cours que son choix était finalement très orienté et fort peu objectif concernant les poèmes de Villon…
Pourquoi n’étudie-t-on plus ce monstre dans les collèges de France. C’est un rappeur ce Villon avec six siècles d’avance.


Sa vie a été forte et violente. Jean Teulé nous plonge dans un récit tout aussi fort. L’empreinte de mes doigts est d’ailleurs encore imprimée dans les pages de ce livre. Une vraie enquête aussi pour recueillir à plus de cinq siècles, le récit de cette vie qui fut celle de maître François, poète, assassin, et monstre humain, tellement humain. Alors que l’on sait que sa biographie tient sur un format A4. Jean Teulé a ouvert les archives de police, passablement fournies, et les 2 023 vers du Testament de 1461. François le Punk avant la lettre

Jean Teulé : « Une vraie biographie de Villon tient en vingt lignes. La chance fait qu’il était malhonnête ! Il y a donc pléthore de procès-verbaux qui consignent tous les méfaits auxquels il est mêlé et qui nous en apprennent énormément sur le bonhomme. Mais sa poésie est truffée d’indications qui peuvent se lire aussi comme des indices. Villon n’écrivait jamais par hasard. Dans ses poèmes, il fait référence à des personnages, illustres ou inconnus, mais, en recoupant les différentes sources, tous ont existé et l’ensemble permet de se faire une idée précise des gens et des lieux qu’il fréquentait mais aussi des endroits où il se rendait. Trois mille vers, c’est pourtant peu. Beaucoup ont été perdus. À l’époque, les poèmes étaient recopiés à la main, circulaient de main en main, étaient épinglés un peu partout et n’importe où. Il ne nous est parvenu aucun original, aucune signature, on ne sait rien, juste qu’il était grand et gaucher. On sait que son dernier poème, il l’écrit à son gardien. Ce sera la seule fois où il écrit le mot fin.
Libéré par Louis XI, il revient à Paris et là, il semble dépassé par sa renommée…
C’est une licorne, un personnage devenu légendaire de son vivant. Il ne comprend pas ce qui lui arrive. Alors partir, ça l’arrange un peu : il n’avait plus rien à faire avec le personnage mythique qu’il était devenu.
Il quitte effectivement Paris le 8 janvier 1463. Il est banni pour dix ans. Il a trente-deux ans. Et l’on perd complètement sa trace… »


J’avais lu les précédents romans de Teulé, originaux et un peu décalés consacrés à Rimbaud et à Verlaine. Cette fois, je suis resté scotché. Ce « Je » qu’utilise l’auteur donne encore plus de force à ce roman. Fait rare je m’arrêtais parfois pour souffler, pour respirer, tant certaines scènes y sont d’une force terrifiante.


Villon est à la poésie ce que Renoir est au cinéma ou Bruce Springsteen au rock : le patron, le boss. Il est le premier poète moderne. Avant lui, la poésie n’est que forme. Elle est bucolique avec des scènes de bergers, des rimes artificielles. Villon écrit, et il fait exploser ces codes-là. Il est dans le réel. Il est dans le corps, dans la souffrance, pas dans la crème chantilly. C’est le premier poète à foutre son cœur, son sang, son sperme, ses tripes, sur la table.

Surtout, le bougre fréquentera la terrible bande des Coquillards, également nommés «les Ecorcheurs», dirigée par Colin de Cayeux, dont on retrouve le nom dans ses ballades. Il apprendra leur langue secrète, qu'il glissera dans certains de ses poèmes, tout comme il emploiera le jargon des homosexuels, ce qui laisse supposer que la sodomie n'était pas étrangère à ses mœurs. Or, pour être accepté chez les Coquillards, ces mercenaires débauchés de la guerre de Cent Ans qui, l'hiver venu, terrorisaient la province, il fallait commettre un crime devant témoins! Et leur faire un cadeau dont la nature était décidée par eux - il s'agissait la plupart du temps de leur livrer la femme aimée pour de monstrueuses «tournantes» qui finissaient souvent dans un bain de sang!
Poursuivi par la haine du cruel évêque d'Orléans, Thibaut d'Aussigny, qui portait un manteau sur lequel étaient cousues les langues de ceux dont il avait obtenu les aveux sous la torture, Villon, protégé par Louis XI, réussit à échapper à la mort. Il n'est pas impossible que les deux hommes se soient rencontrés dans la sinistre prison de Meung-sur-Loire, dont le poète fut le seul à ressortir vivant - et avec sa langue... Il en a, bien sûr, tiré une magnifique ballade qui commence ainsi:

«Qu'en réalgar et en arsenic de roche,
en orpiment, en salpêtre et chaux vive,
qu'en plomb bouillant pour mieux les réduire
en morceaux, qu'en suie et poix délayées
dans l'eau d'une lessive faite de merde et de pisse de Juive,
qu'en lavures de jambes de lépreux,
qu'en raclures de pieds et vieilles bottes,
qu'en sang d'aspic et drogues venimeuses,
qu'en fiel de loups, de renards, de blaireaux,
soient frites ces langues ennuyeuses...»

Dans son deuxième et dernier testament, il raconte ses hontes comme personne ne les a jamais racontées. Ce testament est très noir, désespéré, comme un adieu au monde.
Mais il va au bout de son oeuvre comme on va au bout de sa vie, pour voir ce qui se cache derrière l’âme humaine.

Jean Teulé : « Une telle attitude a bluffé des gens comme Rimbaud. Rimbaud, après ses aventures dans le Paris de la Commune, se sent banni. Lui aussi part pour disparaître, « je disparaîtrai merveilleusement », écrit-il. Quant à Verlaine, il meurt un 8 janvier en criant : « François ! »